Aux origines de « La souris verte » : enquête historique sur une comptine mystérieuse
La comptine « Une souris verte » fait partie du patrimoine culturel français. Tout le monde la connaît, tout le monde l’a fredonnée enfant, mais peu savent d’où elle vient réellement.
Ses origines sont étonnamment floues : on ignore qui l’a écrite, à quelle époque elle a été composée et ce qu’elle voulait vraiment dire. Pourtant, grâce aux recherches de plusieurs folkloristes du XIXᵉ siècle, on peut retracer son évolution et comprendre comment cette petite souris a traversé les frontières et les générations.
Découvrez l’interprétation de la souris verte comme étant un soldat Vendéen, une comptine alchimique ou une initiation maçonnique.
Les premières traces écrites : Genève, 1879
La toute première mention connue de la comptine remonte à 1879.
On la doit à Jean-Daniel Blavignac, un architecte genevois passionné par le folklore et les traditions populaires. Tout au long de sa vie, il a collecté des rondes, rimes et jeux d’enfants qu’il consignait dans ses carnets personnels.

Après sa mort en 1876, ses notes ont été publiées à titre posthume dans un ouvrage intitulé L’Empros Genevois, caches, rondes, rimes et kirielles enfantines. C’est là qu’apparaît la toute première version imprimée de la comptine, bien différente de celle que nous connaissons aujourd’hui :
Une souris verte,
Qui courait dans l’herbette,
Je l’attrape par la queue,
Je la montre à ces messieurs.Dans la basse-cour,
Elle fait irruption,
Appelle les petits,
Et leur dit :
Du pain dur, picota !
Cette version d’origine suisse ne mentionne ni escargot, ni huile, ni eau. Elle semble être une simple chansonnette enfantine, sans portée symbolique ni contexte politique. Blavignac s’était contenté de la noter dans ses carnets, sans commentaire ni explication.
1883 : Les premières versions françaises
Quatre ans plus tard, en 1883, un autre chercheur passionné de folklore, Eugène Rolland, publie Rimes et jeux d’enfance. Ce monumental travail de collecte réunit des centaines de comptines françaises et présente deux versions régionales de la “souris verte”.

La première, issue de la région parisienne, dit :
Une souris verte,
Qui courait dans l’herbe,
Je la prends par la queue,
Je la montre à ces messieurs,
Pimpon d’or, pimpon d’or,
La plus belle, la plus belle,
Sortira dehors.
Cette version semble liée à un jeu de ronde, où les enfants se choisissaient ou s’éliminaient à chaque couplet.
La seconde, collectée en Saône-et-Loire, introduit un nouveau personnage :
Une souris verte,
Qui court dans l’herbe,
Je l’attrape par la queue,
Je la montre à ces messieurs.
Caroline, sauve-toi,
Si je t’attrape, tant pis pour toi.
Personne ne sait qui est Caroline, mais son apparition montre déjà que la comptine se déclinait localement, avec des ajouts propres à chaque région.
1888 : Les variantes bretonnes de Paul Sébillot
En 1888, l’ethnologue Paul Sébillot, spécialiste du folklore breton, publie une nouvelle version dans La Revue des Traditions Populaires. Celle-ci a été recueillie dans le Morbihan et le Finistère :
Une petite souris verte,
Qui courait dans l’herbe,
Je la prends par la queue,
Je la montre à ces messieurs.
Un, deux, trois,
Caroline, Caroline,
Un, deux, trois,
Caroline s’en va.
Le nom de Caroline revient encore, preuve que certaines formules circulaient oralement sur plusieurs générations avant d’être fixées par écrit.
1916 : La version nantaise de Marie-Edmée Vaugeois
En 1916, la poétesse bretonne Marie-Edmée Vaugeois mentionne dans la même revue une version collectée dans le pays nantais.
Elle est très courte et semble n’avoir aucun rapport thématique avec le texte qui la précède :
Une souris verte,
Qui courait dans l’herbe,
On l’attrape par la queue,
On la montre à ces messieurs.
Cette formule apparaît en marge d’autres comptines totalement différentes, comme :
On lui jette une orange,
Elle la pèle, elle la mange ;
On l’appelle la grosse gourmande.
Cette juxtaposition prouve que les chansons enfantines circulaient librement, souvent sans structure fixe ni contexte clair.
Le XXe siècle : une fixation progressive
Au début du XXe siècle, on trouve des versions encore plus divergentes :
- la souris verte devient parfois poule verte ou souris blanche ;
- la fin varie énormément selon les régions.
Certains ajouts donnent des secondes parties inédites :
Je la mets dans mon placard, elle mange tout mon lard.
Je la mets dans mon tiroir, elle me dit qu’il fait trop noir.
Je la mets dans mes culottes, elle me fait crot-crot.
Ces variantes reflètent la vivacité du folklore oral, où chaque communauté adapte les textes selon son humour ou ses habitudes.
Il faut attendre 1931, avec la parution de Nos plus belles chansons d’enfance, pour que la version que nous connaissons tous se stabilise.

Puis, dans les années 1950–1960, les grandes maisons d’édition comme Hachette et Nathan rééditent la même comptine dans leurs recueils pour enfants, fixant définitivement le texte.
Une chanson sans auteur, sans contexte… mais universelle
Aujourd’hui encore, les spécialistes n’ont aucune certitude sur :
- l’origine exacte de la chanson,
- son auteur,
- ou sa signification première.
Tout ce que l’on sait, c’est que la première version imprimée date de 1879, et qu’elle s’est enrichie au fil des décennies grâce à la transmission orale.
Cette absence d’auteur connu et de contexte historique fait de La souris verte un véritable mythe collectif : un texte anonyme, malléable, qui reflète autant les jeux d’enfants que l’imagination populaire.
Conclusion
L’histoire de La souris verte montre comment une simple ritournelle peut devenir un phénomène culturel universel.
Née sans doute au XIXe siècle dans le folklore franco-suisse, elle a évolué à travers les régions, avant d’être figée par l’imprimé et la scolarisation.
Derrière cette apparente simplicité se cache un témoignage précieux de la mémoire orale du XIXᵉ siècle.
Et si la comptine reste aujourd’hui un mystère, c’est peut-être justement ce flou qui lui donne toute sa magie : celle d’un texte que chacun peut s’approprier, transformer, et chanter encore sans en connaître le secret.
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