Un symbole omniprésent
Vous avez forcément déjà vu un ouroboros. Enfin pas en vrai hein, ce n’est pas un animal réel — quoique… une légende des États-Unis laisse penser qu’il pourrait exister, mais on y reviendra plus tard.
Le nom ne vous dit peut-être rien, mais il est omniprésent. C’est le tatouage des homonculus dans Fullmetal Alchemist. Il est sur la pochette de Les Chevaliers de Baphomet 5, en boucle de ceinture sur Alpha (chef des chuchoteurs dans The Walking Dead), sur le blu-ray du Hobbit de Peter Jackson, dans la saison 4 de X-Files, et même dans Godzilla vs. Kong.
Au-delà de la pop culture, on le trouve aussi sur la façade est de la cour du Louvre, sur la colonne Lambert à Mulhouse, sur la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, ou dans le logo de la Société Théosophique fondée par Helena Blavatsky.
Autrement dit, ce serpent qui se mord la queue est un symbole incroyablement répandu dans la culture occidentale. Alors faisons ensemble un petit voyage dans son histoire, de ses origines jusqu’à nos jours.
Des origines obscures à l’Égypte ancienne
La toute première représentation connue d’un serpent qui se mord la queue remonte au 3e millénaire av. J.-C. (non, pas le mois d’octobre…). Elle provient du royaume d’Élam, dans l’actuel sud-est de l’Iran, avec un bas-relief bitumé trouvé à Suse. Il montre deux serpents formant chacun un cercle. On ne sait absolument rien de leur signification. Mais c’est la première trace, donc on la note.
C’est ensuite en Égypte que le symbole se structure. Vers -2300, dans les Textes des Pyramides, on lit : « Ta queue est dans ta bouche, ô serpent qui enveloppe le Grand Taureau ». C’est la première mention textuelle.
Il faudra attendre Toutânkhamon, en 1320 av. J.-C., pour voir l’ouroboros représenté. Dans sa tombe somptueuse, on trouve une chapelle contenant trois sanctuaires en bois imbriqués, un sarcophage en pierre, puis trois cercueils anthropomorphes. Et sur ces sanctuaires, deux ouroboros : un autour de la tête et des épaules, l’autre autour des pieds.
Le symbole a plusieurs sens selon les époques. Il peut représenter le chaos indifférencié (matière primordiale) encerclant le cosmos ordonné, comme une barrière entre le monde et Noun, l’océan infini. Il symbolise aussi l’immortalité, les cycles naturels, et parfois la renaissance, car il entoure souvent le soleil levant ou apparaît sur les cercueils.
Mais attention, le serpent est ambivalent : parfois porteur d’anéantissement ou d’autodestruction. Bref, il est puissant… et instable.



Abraxas, gnosticisme, alchimie et franc-maçonnerie
Les Grecs, comme souvent, reprennent le symbole aux Égyptiens. Et c’est chez eux qu’il prend le nom d’ouroboros : de ourá (queue) et borós (vorace). Littéralement : « qui se mange la queue ».
Il n’apparaît pas dans la mythologie grecque, mais dans les courants gnostiques : ces sectes spirituelles recherchent la connaissance du divin, de l’humanité et du monde. L’ouroboros est gravé sur les amulettes appelées abraxas, entourant le mot magique central. Il agit comme une protection énergétique.
On retrouve l’ouroboros dans le livre Emblematum Liber d’Heinrich Steyner (1531), où l’emblème 132 lui est dédié. C’est à ce moment qu’il infuse l’alchimie européenne. Mais il y était déjà, avec Cléopâtre l’alchimiste (aucun lien avec Cléopâtre VII), qui officie à Alexandrie au 3e siècle. Elle l’emploie dans ses traités.
Zosime de Panopolis, célèbre alchimiste grec, reprend l’ouroboros accompagné de cette phrase tordue :
Un est l’Universel, par lui est l’Universel et vers lui retourne l’Universel ; et s’il ne contenait pas l’Universel, l’Universel n’est rien. Un est le serpent qui mord sa queue, celui qui possède l’ios après les deux traitements.
Si vous avez compris, vous êtes prêts pour l’alchimie. Sinon… bon courage !
L’Aurora Consurgens (attribué à Thomas d’Aquin) illustre l’ouroboros comme un dragon dans un récipient en verre. Michael Maier, dans L’Atalante Fugitive (1617), pousse encore plus loin :
Voici le Dragon qui dévore sa queue. Aiguillonné par la sinistre faim, le Poulpe ronge ses membres, et l’homme se repaît de l’homme. Tandis que le Dragon mord et mange sa queue, il a pour aliment une part de lui-même. Dompte-le par le feu, la faim et la prison ; qu’il se mange et vomisse, et se tue et s’enfante.
Quelques siècles plus tard, l’ouroboros entre en franc-maçonnerie. On le retrouve dans certains rites, avec la devise latine Ordo ab Chao (« l’ordre à partir du chaos »). Il figure sur le logo du Grand Orient de France, fondé en 1773.



Le monde selon le serpent
Ce symbole a beau être ancien, il n’est pas universel. Il manque à de nombreuses cultures. Pourtant, là où il apparaît, il marque les esprits.
Dans le vaudou, Ayida-Weddo est un esprit puissant, arc-en-ciel, lié à la fertilité, au feu, à l’eau, au tonnerre. On la représente comme un serpent divin. Des représentations sont visibles au palais de Gezo au Bénin.
Dans la mythologie nordique, Loki a un fils nommé Jörmungandr. Odin le jette dans l’océan, où il grandit jusqu’à entourer le monde et saisir sa propre queue. Il incarne ainsi l’océan primordial. Cette version est rapportée dans l’Edda de Snorri (1220).
Ibn ‘Arabī, au 13e siècle, rapporte qu’un homme a vu un serpent géant, placé par Dieu autour du mont Qāf, entourant le monde, tête et queue jointes. Mais aucune signification n’est donnée à cette vision.
En Mésopotamie (6e–8e siècles), plus de 2000 bols d’incantation ont été retrouvés. Certains montrent un ouroboros, soit en haut pour protéger le bol, soit au fond, pour préserver la formule magique. Chaque bol avait une fonction et un emplacement spécifique.
La légende du serpent cerceau
Et puis il y a cette histoire incroyable. En 1784, le docteur irlandais John Ferdinand Smyth Stuart publie un livre relatant une légende américaine : celle du Hoop Snake.
Comme les autres serpents, il peut ramper sur le ventre, mais il a une autre méthode de déplacement propre à son espèce […] il se jette en cercle, courant rapidement autour, avançant comme un cerceau, avec sa queue dressée et pointée vers l’avant dans le cercle, ce qui lui permet d’être toujours prêt à frapper.
Des témoignages ponctuels apparaissent en Caroline du Nord et en Colombie-Britannique. Mais aucune preuve concrète n’a jamais été trouvée. Dommage ! J’aurais adoré filmer ça !


Conclusion
L’ouroboros est un symbole millénaire, profondément enraciné dans de multiples cultures, toujours porteur de sens — même si ce sens varie. Il incarne le cycle, la totalité, le renouveau, le chaos, l’auto-consommation… bref, un condensé d’humanité dans un cercle de serpent.
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