De tous les dieux suprêmes de tous les panthéons, il en est un qui, malgré sa puissance inégalée et inégalable, fera l’objet de kidnappings et de restitutions régulières. Ce dieu est celui des Babyloniens : Marduk.
LE CONTEXTE
Au milieu du 2ème millénaire avant J-C, ce sont les Babyloniens qui dominent la majorité de la Mésopotamie. Leur capitale Babylone se situe sur les bords du fleuve Euphrate dans l’actuel Irak. Dans cette capitale antique, on vénère Marduk. Il est surpuissant, héroïque et c’est grâce à lui que nous existons. L’histoire de sa création est narrée dans une épopée au lyrisme inspiré : L’Enuma Elish.
Mais si Marduk est bon avec ses sujets, il est impitoyable avec ses ennemis ; et ceux qu’il a le plus en horreur, ce sont les Élamites, un peuple dont le royaume se situait aux environs du sud-ouest de l’Iran actuel. Les Élamites ont pour fâcheuse habitude de venir régulièrement taper sur la tête des Babyloniens. On retrouve une collection de textes, maladroitement nommés « Les textes de Kedor-Laomer » du nom d’un roi élamite. Ce nom aurait une ressemblance avec celui de Kudur-Nahhunte, le roi de l’époque qui nous intéresse !
Nous sommes donc en -1150 et ce souverain élamite réclame le trône de Babylone . Il argue des origines mésopotamiennes de par sa mère, et envoie également des lettres au peuple babylonien qui gentiment lui demande d’aller voir ailleurs. Il lance alors des assauts répétés contre les Mésopotamiens et commet l’outrage ultime : subtiliser la statue représentant le dieu Marduk et la ramener dans sa capitale impie : Elam.
LA VENGEANCE DE MARDUK
Le bras vengeur de Marduk arrive et il a un nom : Nabuchodonosor. Lorsqu’il accède au trône, ce roi lance de nombreuses campagnes contres les Élamites afin de récupérer la statue et de raffermir son pouvoir. Au alentours de -1120, c’est chose faite et il devient un des plus grands monarques de l’histoire babylonienne.
Nabuchodonosor, Roi de Babylone, qui a remis de l’ordre dans les temples, qui s’assure de la tenue des rituels, Marduk a exalté sa sagesse, magnifié son pouvoir, a fait de lui le Premier devant tous.
Extrait d’un poème à la gloire de Nabuchodonosor dans « Before The Muse » de Benjamin Foster
On retrouve ce genre de textes à la gloire de ce roi sur de nombreuses tablettes d’argile de cette époque. Le pouvoir de Nabuchodonosor y est exalté, presque vu comme l’incarnation du dieu sur terre. On pourrait s’arrêter là, puisque des poèmes, des manuscrits, des lettres et des prières sont écrites à la gloire ce grand chef militaire.
Toutefois, il semblerait que ce ne soit pas assez et afin d’assurer qu’on se souvienne de ce qu’il a fait, Nabuchodonosor organise des campagnes de propagande.
LA PROPHÉTIE DE MARDUK
Ce n’est pas le fait des hommes si Marduk revient à la maison. Ce dernier avait tout prévu. Une prophétie existe dans laquelle le dieu explique qu’effectivement, il va voyager à travers les contrées.
Tout d’abord chez les Hittites, un peuple situé en Anatolie, une région turque. Il est vrai que cette civilisation s’est emparée de la statue de Marduk aux alentours du 16ème siècle avant J-C. Magnanime, Marduk n’en tiendra pas rigueur à ces ennemis de courte durée, car un de leur roi rendra la statue deux siècles plus tard. Marduk raconte avoir testé les Hittites qui ont réussi à prouver leur bonne volonté.
Le dieu continue de prédire une étape à Assur, la capitale du nord de la Mésopotamie et il tape encore dans le mille. Bien que ce soit un vol, le dieu pardonne, car le pire est à venir, on l’a vu : les Élamites. Mais personne n’a pris peur car Marduk rassure : un roi sauveur va arriver.
Un roi de Babylone se lèvera ; le merveilleux temple, Ekursagila, il restaurera. Les plans du ciel et de la terre il concevra à Ekursagila. Il doublera sa hauteur. Une exemption (d’impôts) il décidera pour ma ville de Babylone. Il me guidera jusqu’à Babylone, ma ville, et il (me) ramènera à Ekursagila l’éternelle.
Extrait de la prophétie de Marduk dans « Before The Muse » de Benjamin Foster
C’est bien Nabuchodonosor qui est évoqué, car ce texte aurait été rédigé sous son règne. Peu de doutes quant à la raison pour laquelle il l’a fait. Montrer que c’était son destin de sauver la statue et par extension le dieu ainsi que le monde. Le roi renouvelle son alliance avec le ciel par ses actions héroïques et montre qu’il est digne de sa fonction.
L’ORDALIE DE MARDUK
En Mésopotamie, les rois ont une sorte de relation contractuelle avec les dieux. Ils sont les garants du bon fonctionnement du monde au travers de leur statut. Une fête mésopotamienne, nommée Akitu, servait de nouvel an aux babyloniens. Et durant cette fête, le roi devait tout perdre symboliquement afin de revenir tout aussi symboliquement. Un rituel qui renouvelle le monde.
Il est possible qu’un dernier texte fasse allusion à cet « éternel retour » : c’est l’ordalie de Marduk. Une ordalie est un jugement à caractère religieux où l’accusé est soumis à des épreuves. Dans cet écrit tardif (aux environs du 7ème siècle avant J.-C.), Marduk est jugé devant d’autres dieux, peut-être parce qu’il s’est pris pour le dieu suprême à la place d’Assur. Le procès se tient le jour de l’Akitu, et même s’il semblerait que ce soit la fin de Marduk qui passe de dieu suprême à dieu usurpateur et fourbe. On le fait décapiter.
Il faut dire qu’en ce temps-là, les Assyriens dominent et ils adorent Assur comme dieu des dieux. En -689, un roi assyrien vole encore la statue, dont l’ordalie serait le souvenir mythologique.
DES DIEUX ET DES HOMMES
Il faut bien comprendre que cette perte est d’une douleur incommensurable pour les Babyloniens. Marduk est certes un dieu suprême, mais sa présence dans la psychologie mésopotamienne, n’en est pas moins réelle. Sa statue fait office de présence protectrice et sa disparition amène nécessairement chaos et sentiment de dépression pour ce peuple. Parce que les dieux ne vivent pas tous loin des hommes, dans des palais célestes.
Ils sont personnels, de l’ordre de l’intime. Les voyages de Marduk sont aussi l’histoire d’une civilisation qui perd ses repères et qui retrouve ses pères. C’est le chemin tortueux que prend l’histoire, entre saccages, vengeances et guerres de reconquête. Et bien que Marduk ait prophétisé son retour d’Elam, il n’a pas vu qu’il perdrait la tête dans son propre pays avant d’y revenir encore fois, régénéré pour seulement 200 ans. Car si la statue est récupérée une dernière fois aux alentours de -670, elle sera définitivement détruite par Xerxès 1er, roi perse des années -480. En effet, il fera fondre la statue en or de Marduk, marquant la fin d’un cycle millénaire.
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