LE LIEU

Irak de nos jours, du sable à perte de vue. Pourtant, nous ne sommes qu’à 200 km des côtes du golfe Persique, près du lac salé Hammar. Là, se dressent les restes d’une ville, dispersés sur une vaste zone qui aurait été la première à développer le concept de royauté. La première ville de l’histoire pour les Mésopotamiens de l’antiquité : Eridu. Son roi aurait survécu à un déluge et son mythe nous expliquerait pourquoi la ville détient la primauté royale.

Mais avant de devenir l’Irak, la région a été le berceau d’une culture novatrice, connue désormais sous le nom de civilisation mésopotamienne.

Les ruines de la première ville du monde
Des restes d’un édifice à Eridu, le temps et ses ravages (2123-2106 av.J-C).

L’ÉPOQUE

Pour l’instant, nous sommes encore à la préhistoire, aux environs de -10 000, quand la Mésopotamie est investie au nord par des peuples dits sémites, originaires de la péninsule arabique. Ils forment le peuple Akkadien. Au sud, ce sont les Sumériens qui colonisent l’endroit. Toutefois, leur lieu d’origine nous est toujours inconnu.

Grâce à la présence du Tigre et de l’Euphrate, deux fleuves immenses, la région était extrêmement fertile. Cette aubaine permit le développement d’une discipline essentielle à la survie de l’homme : l’agriculture. Une compétence acquise par simple observation du cycle naturel de l’existence ; une graine dans le sol peut germer si elle profite du soleil tout en étant correctement arrosée.

Deux notions simples et efficaces qui pousseront les mésopotamiens à développer des systèmes d’irrigation toujours plus élaborés. La construction de canaux et de systèmes d’approvisionnement de l’eau les érigèrent en maître de l’irrigation.

En parallèle des améliorations technologiques, se développent les arts, la philosophie et la pensée jusqu’à ce qu’advienne une invention miraculeuse : l’écriture. Nous sommes en 3 500 avant J-C et nous entrons enfin dans l’Histoire.

Les villes s’élargissent, s’organisent, et doivent se régenter au point de devenir de réelles cité-états. Il faut alors un Roi.

LA GENÈSE DU MYTHE

D’après La tradition mésopotamienne, la première ville à accéder au concept de royauté serait donc Eridu. Cette connaissance serait un don des dieux. Pourtant, l’histoire contredit cette tradition. En effet, les fameuses ruines à proximité du lac d’Hammar nous enseignent qu’Eridu est avant tout un lieu sacré où se dresse un temple important, mais en aucun cas le centre du pouvoir terrestre.

Thorkild Jacobsen

C’est en 1981 que Thorkild Jacobsen, un assyriologue danois, traduit pour la première fois cette tablette. Il a daté ce texte aux environs du 16ᵉ siècle et l’a nommé : la Genèse d’Eridu.

Cette croyance traditionnelle est issue d’un mythe retrouvé sur différentes tablettes d’argile dans les villes antiques d’Ur et de Nippur, dans la partie sud de la Mésopotamie.

LE MYTHE DE LA GENÈSE

Les fragments du mythe qui nous sont parvenus nous plongent directement dans l’action. Nous faisons la rencontre d’Enki, le dieu de la sagesse des Mésopotamiens, en train de se lamenter. Il semblerait qu’on ait malmené ses créatures chéries, nous, les humains. Son seul désir est de nous rendre heureux, il nous érige des villes sur des lieux sacrés. La première sera Eridu, bâtie en son honneur, évidemment.

Il fait ensuite descendre la royauté sur les hommes, met de l’eau dans le lit des fleuves ; il nous cajole, mais le bonheur est de courte durée. Après quelques lignes perdues, c’est au tour de notre créatrice, Nintu, d’être effondrée de tristesse. La vie des humains est encore menacée par Enlil lui-même, le Roi des Dieux, soutenu par Anu, le dieu suprême.

Entre en scène Ziusudra, le roi/héros de cette histoire. Il règne sur la ville de Shuruppak, bien au nord d’Eridu. Fidèle et dévot, il reçoit un avertissement de la part d’Enki sur la catastrophe à venir.

Tablette de la genèse d'Eridu, mythe du déluge
Fragment sur tablette d’argile du mythe, retrouvé à Nippur.

Survient une nouvelle ellipse imputable aux ravages du temps, et revoilà Ziusudra sur un bateau, malmené par une mer tempétueuse. Une situation diluvienne que le Roi relève avec brio. Parce qu’aucunes ténèbres ne peuvent durer éternellement, Utu, le dieu soleil, chasse les nuages et permet à Ziusudra de sortir de son arche sain et sauf, accompagné de tous les animaux qu’il avait récupérés avant le déluge. Ziusudra se prosterne humblement devant le dieu solaire.

De son côté, Enki, dieu certes sage, tout autant que facétieux, décide de réitérer la création d’humains. Contre toute attente, Enlil et Anu le laissent faire ; ils ont pris Ziusudra en affection. Ce dernier les a loués et s’est prosterné devant eux, se faisant le symbole de la déférence humaine envers les dieux. Ils l’installent dans le pays de Dilmun, là où se lève le soleil, et lui offrent alors le plus grand de cadeaux : l’immortalité. Figé pour l’éternité sur une tablette d’argile, le nom de Ziusudra prend alors tous sens, ce dernier signifiant « Jours prolongés ».

SE RACONTER DES HISTOIRES

Un déluge, une arche et des animaux. Voilà qui semble tout à fait familier… Nous sommes effectivement face à une des premières occurrences de l’histoire du Déluge. Cependant, cette version n’est pas la première, car un texte précédent, le mythe de l’Atra-Hasis nous narre une histoire similaire.

En revanche, la Genèse d’Eridu a la particularité de s’articuler parfaitement avec le « roman national » mésopotamien.

Car si elle est une ville dont l’existence est attestée par de nombreuses fouilles archéologiques, il semblerait qu’Eridu n’ait pas eu la place politique que les textes sacrés mésopotamiens lui donnent. Pourtant, les listes royales mésopotamiennes qui sont censées recenser la totalité des royaumes et de leurs dirigeants, placent Eridu comme la première ville ayant eu accès à la royauté.

Ces listes et ces mythes, gravés dans la pierre ou dans l’argile, nous viennent tous d’époques rapprochées. Nous pourrions y voir là le désir d’un peuple de se fédérer autour de légendes communes afin de légitimer son existence via une biographie, certes, impeccable, mais qui s’arrange avec la vérité.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ce mythe, vous pouvez regarder la vidéo qui lui est consacrée sur la chaîne youtube Les Théonautes.

À propos de l'auteur

Clément

Créateur de la chaîne Les Théonautes, je lis les textes sacrés pas toujours digestes afin de les rendre accessible à tout le monde. J'en fais l'exégèse en tentant de faire retentir l'écho du passé jusqu'au présent.

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